La tentative de filmer un invisible, une réception, les parcours de l'actualité, nous amène dans un aller-retour constant entre un objet déjà étudier dans les codes de l'écrit, et aujourd'hui parcouru à nouveau par les codes de l'images et du cinéma documentaire, de la socio-anthropologie visuelle. Que nous apporte l'image par rapport au texte dans la tentative de compréhension de notre objet ? Inversement, que nous apporte l'écrit dans les questions de montage et de narration de notre film de thèse ? Comment ses deux formes d'approches du réel et de la réalité sociale se répondent l'une et l'autre dans la perception, construction de notre objet d'étude et des questions que nous lui posons ? Et comment la pensée visuelle et l'écrit interagissent dans la restitution (écrite et filmée) de notre objet ? En complément de la visualisation d'un extrait de notre film, ce sont les questions que nous aimerions aborder.
L'idée de cette intervention, à travers quelques réflexions sur un travail filmé commencé sur les thanatopracteurs et des extraits vidéos sur mon travail de thèse, la réception de l'actualité, serait de discuter du fait que ma démarche, et surtout le faire/mon faire de la socio-anthropologie trouve de plus en plus son sens et de sens dans l'utilisation de l'image. Dit autrement, comment l'image, le film soulignent les angles morts de ma pratique universitaire « classique », et plus qu'une opposition, comment le travail de l'image et le travail de l'écrit socio-anthropologique viennent se compléter. La réflexion sur le travail avec les thanatopracteurs m'a apporté une première démarche de film socio-anthropologique ou j'ai appris des images : elles nous replaçaient, de force dans leur dispositif, le dispositif et la trilogie des postions du filmé, du filmeur et du spectateur. C'est ici que pour la première fois, la notion, l'idée de faire confiance aux images s'est imposée. L'image, l'utilisation du film nous questionnait sur ce qui était visible, regardable et ce qui ne l'était pas par les nombreuses réactions qu'a pu susciter nos premiers images montrées (« je ne peux pas regarder cela car cela me rappelle la mort de... souvent récente »). La deuxième démarche vis-à-vis de l'image a été dans la reprise d'une thèse travaillée uniquement à partir de l'écrit et du texte. Sur la réception de l'actualité. Il y avait comme dans la première démarche, quelque chose d'un peu militant, monter ce que je pensais être un invisibilisé, la réception, ce que crée le récepteur en face du texte (ce que j'appelais le texte de l'actualité), mais qui est surtout à mon sens un invisible, une production qui pour paraphraser Michel De Certeau quand il nous parle des marches dans a ville, n'a pas de traces, d'espaces propre, de lieu. Une réception, si elle n'est pas verbalisée, n'est ni visible, ni sensible dans ce qu'elle produit, et dans ce que celui qui la crée, produit. La question de base et centrale de ma démarche était donc : Comment filmer cela ? Comment filmer cet invisible ? Et qu'est-ce que cela peut aussi nous apprendre sur cet objet ? Pour décrire ce que le travail d'écriture et de mise en image de mon objet de thèse m'a apporté j'aimerai reprendre le fil par une citation de Daniel Arasse, dans « on y voit rien » : « Ce que je trouve le plus significatif, c'est que je n'ai pas eu besoin de textes pour voir ce qui se passe dans le tableau. (...) tu pars de textes et tu as besoin de textes pour interpréter les tableaux, comme si tu ne faisais confiance, ni à ton regard pour voir, ni aux tableaux pour te montrer d'eux-mêmes ce que le peintre a voulu exprimer » « Ce qui me préoccupe, c'est plutôt le type d'écran (fait de textes, citations, et de références extérieures) que tu sembles à tout prix, à certains moments, vouloir interposer entre toi et l'œuvre, une sorte de filtre solaire ». J'ai croisé cette citation au moment de l'écriture de mon projet de film pour cette thèse. Et je n'ai pas encore trouvé d'autre citation plus proche de mon ressenti sur la pertinence encore une fois de l'image pour nous mettre dans les angles morts de nos écrits et façon de penser. Et sur ce que nous avons dégagé dans l'approche des thanatopracteurs. Ce qui m'intéresse le plus dans ces deux citations se trouve dans les notions de Voir et dans le faire confiance à l'image. En en quoi pouvons-nous faire confiance à un film (et à son processus même d'écriture) pour nous guider dans notre regard d'interprétation (scientifique) ? (J'ai pu et je suis en train d'expérimenter deux approches, que je qualifierais de deux regards, d'un même objet sociologique. La première approche s'est faite par les codes de l'écrit ; la deuxième, par le Voir et les codes du cinéma (documentaire).. Et, ce Voir, différent justement, d'une approche textuelle de l'objet, par le biais de l'écriture d'un film (objet complémentaire au texte écrit de ma thèse de doctorat).) Cette écriture de film sociologique m'apporte, m'amène vers une toute autre approche de mon objet de recherche. L'écriture du film m'a mis à jour un premier « écran, filtre solaire ». Me poser la question de comment rendre compte (en termes d'images et de son) de ce que j'appelais le Texte-actualité. C'est à la fois un dispositif, c'est un ensemble symbolique qui est là, présent, partout, et en même temps diffus, et presque uniquement actualisé par ses récepteurs et leurs pratiques. Cela m'a permis de travailler sur l'image en elle-même de l'actualité et finalement de redéfinir mon objet de recherche. J'étais dans ce que Bourdieu dans les règles de l'art, décrit comme le fétichisme du texte en sociologie. Ma conception est passé de l'idée du texte-actualité à la notion de dispositif. Mon approche écrite de mon objet m'avait fait ranger, et définir par simplicité, l'actualité comme un texte (en référence au texte urbain de Michel De certeau) sans plus questionner cette « facilité » de dans ma démarche de recherche. L'écriture du film à remis en cause toute cette approche. Mettre en image ce texte, l'actualité, me l'a fait percevoir de manière totalement différente. Comme un tableau l'actualité nous place, à la fois, dans un espace, dans un temps, et dans une position. Et de manière différente en fonction des supports. Et plus les passages dans le texte que j'étudiais, mon objet de recherche à glisser vers le rapport du spectateur, du marcheur à ce dispositif. Premier filtre solaire déconstruit, pour reprendre les termes d'Arasse, faisant confiance à la fois aux images dans l'appréhension du réel qu'elles peuvent créer et dans le tableau également que peut être l'actualité et le dispositif qu'il met en place. Maintenant je suis dans le questionnement de la mise en image de cela, de manière à la fois plus précise et plus large, j'ai envie de dire plus symbolique. Et pour aller plus loin, donc ce premier essai de montage sur mon objet me ramène à la question de Christine Louveau : « la question de la mise en place de la problématique dans les films de sciences sociales est un sujet très délicat. En effet, la problématique ne se donne pas à voir directement dans le terrain, ce sont l'enregistrement des données (image et son) et leur structuration a posteriori (montage et postproduction) qui vont mettre en évidence le propos du chercheur. » Le cinéma va dans une autre direction, celle de produire des images et des sons, non des mots, l'image est différente de la verbalisation. A mon sens, donc dans cette idée de filmer un invisible, Ce qui va rendre visible l'invisible que j'essaye de filmer, c'est la répétition, donc le montage (du film), des pratiques individuelles informatives, leur mise en réseaux, sur un même espace. (celui du film) qui va nous montrer à la fois les similitudes et différences de chacun et chacune, et donc une pratique et son sens, la création (cet invisible) qu'elle met en place, en scène dans le film. Mais ce montage, cette idée de montage, me questionne, car elle remet aussi en place ici la notion de spectateur et le principe même de l'objet film que j'aimerai être le plus intéressant possible, « regardable » possible. Jusqu'où aller dans l'accumulation la redondance de portraits, et ne pas créer la lassitude du spectateur ? C'est la question de la narration qui refait surface. Nous aborderons également la question de la narration : Comment raconter ? Ici, dans le cadre de mon film de thèse, ne pas aller dans une succession de pratiques, identiques, ou quelques peu différentes en fonction des provenance sociales. Quel est le plus de ce film vis à vis de l'écrit ? (Certes monter, faire, percevoir, rendre sensible cet invisible, ce qui est créé par le récepteur) mais au-delà ? Ce questionnement m'a permis de reconstruire le fil narratif de ma thèse, me reposer la question de ce qui pouvait être la base de ce que je voulais raconter, ici la réponse était l'espace. Le livre de George Perec m'est à nouveau tombé dans les mains, Espèces d'Espaces, et sa forme narrative, partir de la page, la chambre, du plus petit espace, pour aller vers l'espace plus large, et structurer une narration de la sorte. Cela nourrit en retour le travail de l'image et du film. Sur les séquences à fournir, le montage, les liens visuels à créer entre ses séquences. Comment passer visuellement du plus intime, espace réduit, du Je (du chercheur), au plus large, global et grand, dans la réalisation et la forme des images. Quelque chose qui ressemble à mon sens fortement à ce que Jean-Pierre Durand et Joyce Sebag décrivent comme la pensée visuelle, cet aller-retour entre le verbe, le mot, et l'image, le concept. Ce processus de va et vient qui nourrit à la fois l'écrit et le visuel. C'est donc toutes ces questions que nous aimerions travailler lors de cette intervention, notamment celle de la pensée visuelle, (le sensible), comme un outil de déconstruction et en même temps de construction du sens (socio-anthropologique). C'est en ce sens que j'entends le « Faire confiance aux images », c'est questionner le texte, l'écrit. Qui lui-même vient nourrir l'image, la pensée visuelle.