Représentations du réel, modélisations et condensations à l\'œuvre dans la réalisation de documentaires filmiques. Léxemple dún documentaire auto-socio-analytique
Laurence Ellena  1, *  
1 : Groupe de recherches sociologiques sur les sociétés contemporaines  (GRESCO [Poitiers, Limoges])
Université de Poitiers = University of Poitiers, Institut Sciences de l'Homme et de la Société
Université de Poitiers – UFR SHA – 8 rue René Descartes – TSA 81118 – 86073 Poitiers Cedex 9 – France -  France
* : Auteur correspondant

Si la capacité des œuvres de fiction à rendre compte de la « réalité sociale » est un phénomène assez couramment décrit, cet usage apparaît toutefois comme s'intégrant dans un relatif impensé. Est-on plus proche de la réalité en prenant ses distances, en construisant des types marqués, en modélisant le social ? Je souhaite présenter lors de cette session du RT 47, à travers quelques extraits, la manière dont la narration du film documentaire auto-socio-analytique que je suis en train de réaliser se construit, notamment les écarts entre la note d'intention et de réalisation et sa concrétisation, et les multiples condensations et distorsions à l'œuvre dans ce processus de réalisation, qui ont semble-il à voir avec ces typifications et modélisations.

Ainsi, le passé ne se détruirait et ne disparaîtrait qu'en apparence. Chaque esprit individuel traînerait derrière lui toute la suite de ses souvenirs (...) Mais (...) l'homme sait bien que le passé n'existe plus, et il est bien obligé de s'adapter au seul monde réel, qui est celui où il vit maintenant. Il ne se retourne vers le temps disparu que par inter­mittences, et il n'y demeure jamais longtemps. Maurice Halbwachs, Les cadres sociaux de la mémoire Si la capacité des œuvres de fiction à rendre compte de la « réalité sociale » est un phénomène assez couramment décrit, cet usage apparaît toutefois comme s'intégrant dans un relatif impensé, un « allant de soi » peu discuté. Est-on plus proche de la réalité en prenant ses distances, en construisant des types marqués, en modélisant le social ? (Baudelot, Establet, 1987; Baron, Ellena, 2020; Ellena, 2021). Je souhaite présenter lors de cette session du RT 47, à travers quelques extraits, la manière dont la narration du film documentaire autosocioanalytique que je suis en train de réaliser se construit, notamment les écarts entre la note d'intention et de réalisation et sa concrétisation, et les multiples condensations et distorsions à l'œuvre dans ce processus de réalisation, qui ont semble-t-il à voir avec ces modélisations. Road-movie documentaire d'enquête ethnographique et auto-socioanalytique, le film est un journal filmé, qui prend souvent la forme d'un "documentaire intérieur" (Odin, 1994), utilisant plusieurs types de matières : prises de vue in situ, collages d'archives familiales en Super 8, photos-montages et enregistrements sonores. Interrogeant ma propre mémoire sur fond de trajectoire familiale en ascension d'un côté, en déclin de l'autre, il questionne les ressorts d'une recherche en train de se faire. La démarche que j'adopte dans ce travail s'inscrit donc dans une approche réflexive et pour ce faire utilise le procédé de la mise en abyme. Construit en deux volets, le film débute par le tournage de la recherche ethnographique de la narratrice sur les charbonniers de la montagne de Lure, pour se transformer peu à peu en road-movie, le premier à la troisième personne (1. Le dernier charbonnier), le deuxième à la première (2. Nous ne sommes jamais seuls), itinéraire d'une narratrice peu à peu animée par une quête : aller d'Aix-en-Provence au Sahara Occidental rencontrer les personnes inconnues ayant connu ses parents, depuis longtemps décédés. Le récit développé est ainsi celui d'une recherche scientifique en train de débuter (sur les migrations), qui elle-même s'enchâsse dans une recherche artistique (comment réaliser un documentaire sur sa propre histoire). Par ce procédé le récit explore le travail de la mémoire et l'implication autobiographique du chercheur. Par la mise en abyme se donnent à comprendre l'itinéraire biographique et les choix de la narratrice. Références citées Baron, C., Ellena, L., Savoirs de la fiction, PUR, 2020 Baudelot C., Establet R., Durkheim et le suicide, PUF , 1984. Ellena, L. « L'intertexte cinématographique de la sociologie. Contribution à une réflexion sur les relations entre sociologie et fiction », Images du travail, travail des images,Le travail de la fiction, n°10, 2021. Odin, R. « Le Documentaire intérieur » Cinémas, vol. 4, n. 2, 1994, p. 82–100.


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